Nulle image n’a sans doute mieux illustré le métier de verbicruciste que ce dessin de Got, publié en 1987 dans « Mur Démo infos« , le magazine qui relayait les premières réalisations urbaines de mots croisés : dans l’agglomération lyonnaise puis à Montélimar et Bourg-en-Bresse. Il représente un dompteur invitant un lion — formé de toutes les lettres de l’alphabet — à rentrer dans un cercle de mots croisés.
Dominer, domestiquer les caractères indociles de notre langue pour qu’ils forment des mots horizontaux et verticaux dont les lettres se croisent et, par là même, une grille de dimensions choisies : telle est bien la tâche de l’auteur d’aujourd’hui.
Ce travail est nécessaire, mais pas suffisant. Voilà en effet quelque deux millénaires déjà que nos lointains ancêtres sont parvenus à créer des grilles (qui n’étaient alors pas à résoudre mais avaient une portée kabbalistique) et plus d’un siècle que l’Anglais Arthur Wynne a publié à New York le premier Crossword puzzle. Placer des lettres dans des cases pour que celles-ci constituent des termes à lire dans les deux sens, n’est donc plus ni un exploit ni une marque de talent, et ne permet plus de prétendre à la qualité d’auteur professionnel.
Le dompteur doit certes dresser le lion de lettres à donner naissance à des mots, mais pas n’importe lesquels : ceux qu’il aura dûment déterminés pour bâtir une belle histoire énigmatique et intéresser le public des cruciverbistes.
Avis aux amateurs
Cette remarque s’adresse à tous les dilettantes de la création de grilles. Je pense à ceux et celles qui inondent les rédactions de journaux (souvent elles-mêmes peu averties) de leurs premières productions balbutiantes. J’ai également en tête d’autres exemples : celui de ce visiteur du festival des jeux à Cannes qui prétendait devenir auteur, mais «sans faire les grilles, juste les définitions» ; ou encore cet autre, d’un éminent président d’association publiant, dans son bulletin, des grilles de signatures connues dont il s’amuse à réécrire les définitions à sa modeste et géniale manière (Si, si : cette personne existe, je l’ai rencontrée !).
Que ce beau monde me pardonne ce rappel insistant : les mots croisés sont un art (littéraire), et leur création une véritable œuvre d’artiste, supposant que l’on possède deux éléments essentiels : la technique et la capacité de dire des choses. Et pas un seul des deux.
Personnellement, il m’est arrivé d’avoir des idées d’illustrations humoristiques au crayon ou à la plume ; j’aurais même bien aimé pouvoir définir de cette façon mon beau métier. Seul petit problème : je ne sais pas trop bien dessiner ! Et du coup c’est bien Got, un homme de l’art (le neuvième en l’occurrence) qui a réussi le mieux à réaliser ce projet.
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